Entre beauté et violence

Deborah Vedel ne choisit jamais ses sélections de livres au hasard. Avec eux, la libraire tisse un fil invisible et offre un autre regard sur la société.

Pour mieux vous en rendre compte, poussez la porte de la librairie Les Temps Modernes. Comme dans toute librairie indépendante, l'équipe est libre de ses choix éditoriaux.

Pour cette nouvelle sélection, la passionnée nous invite à questionner la liberté des femmes. Entre paillettes, douceur et révolte, elle nous entraîne des corsets à la mode jetable, des prisons d’hier à la sororité d’aujourd’hui. Des textes qui bousculent et réenchantent, des ouvrages pour réfléchir, vibrer et se sentir un peu plus vivante.

Des chiffons et des paillettes

Le vêtement féminin et son imaginaire sont au cœur de Maldonne, la création de Leïla Ka. Un sujet dont s'est emparé le plus pragmatique Loïc Prigent, journaliste mode irrévérencieux connu pour ses aphorismes glanés au pied des podiums de haute couture. Dans le premier volume de son Histoire de la Mode, Mille milliards de rubans, il détaille les débuts du prêt-à-porter au XIX^e siècle, quand la révolution industrielle permit la production de vêtements à grande échelle. 

La crinoline, la tournure et autres atours peu pratiques racontent, en creux, une histoire de la domestication du corps féminin et le développement d'un capitalisme effréné. 

Loin du glamour des magazines de mode, la journaliste Emmanuelle Durand a mené une enquête sur la filière des vêtements usagés, à l'heure où 130 milliards d'habits sont produits chaque année ! L'impact écologique, économique et humain de la production puis du traitement des fripes est un enjeu majeur pour les années à venir. Cette mode jetable, comme la nomme Philippe Gendreau, est permise par un marketing agressif qui joue sur nos imaginaires pour stimuler nos pulsions d'achat.

La douceur d'être ensemble

Toujours du côté de la danse, la troupe féminine de Jann Gallois explore la puissance de la douceur, oxymore cher à Anne Dufourmantelle ; c'est en philosophe et en psychanalyste qu'elle s'empare de la question, sans oublier la littérature. La douceur, loin d'être un concept éculé, est au contraire une aspiration très contemporaine. 

Du côté de la poésie, le très éloquent recueil de Cécile Coulon, Retrouver la douceur, puise dans les petits riens du quotidien pour capter la beauté de l'instant présent. À l'échelle collective, qu'est-il de plus doux et de plus revigorant que le sentiment de sororité, cette solidarité entre femmes similaire à la fraternité ? Elle est au cœur des préoccupations de l'autrice Chloé Delaume dans ses différents écrits, comme Mes bien chères sœurs. 

Là où le patriarcat tente de diviser les femmes, la sororité permet l'émancipation et propose des modes vie alternatifs.

La prison des femmes libres

Enfin, le dernier spectacle de notre sélection, On m'a trouvée grandie, s'appuie sur l'histoire vraie de Madeleine, patiente du tristement célèbre hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui affirme en 1896 pouvoir léviter. Impossible de ne pas songer aux malheureuses héroïnes du Bal des folles de Victoria Mas ou de La part des flammes de Gaëlle Nohant : l'internement psychiatrique était jusqu'au XX^e siècle un moyen pratique d'écarter de la société les femmes un peu trop portées sur la liberté. L'aïeule d'Adèle Yon, Betsy, était de cette trempe là : cette femme réticente à obéir au modèle de l'épouse dévouée des années 50 le paiera de 17 années d'institution, ce que nous apprenons dans Mon vrai nom est Elisabeth. 

Pour terminer, faisons un tour de l'autre côté de la Méditerranée, dans la terrible prison tunisienne de la Manouba, réservée aux femmes. Pauline Hillier, dans son roman Les Contemplées, dresse le portrait de femmes incarcérées dans des conditions épouvantables. Ces dernières sont moins criminelles que victimes impuissantes de l'ordre social des hommes.